Henri Tachan

Merci à Christian Lanfrey pour ces textes :

Sans oublier François Brutsch:
GOUPIL

Renardeau, mon frangin,
On est dans l’ mêm’ pétrin,
Cernés de chiens et de chasseurs,
Renardeau, mon cousin,
Je te tiendrai la main,
La patt’, jusqu’à la dernière heure,
On était partis de bonne foi,
Toi, du terrier, moi, de mon toit,
Avec chaleur,
Au devant des fous et des rois,
Devant nos congénères, ma foi,
De tout notr’ cœur

Ta vie,
On te la joue à face ou pile,
Pardi,
On est poète ou imbécile,
J’veux dire
Qu’on est Ysengrin ou Goupil

Renardeau, mon fiston,
Dans ton joli veston,
Ta queue de pie de flammes rousses,
T’allum’ des incendies
A travers les orties
Et les tapis de tendre mousse,
Et les culs-terreux, fous de rage,
T’accusent de porter la rage
De par la France,
Comm’ si la beauté, aujourd’hui,
Ça méritait d'’être puni,
Pour indécence

Ta vie,
On te la joue à face ou pile,
Pardi,
On est poète ou imbécile,
J’veux dire
Qu'’on est Ysengrin ou Goupil

Renardeau, mon ti-frère,
Rendez-vous en enfer,
L’enfer des bêtes indociles,
Laissons monter là-haut
Les crotales, les cabots,
Au paradis des crocodiles,
Pour trois volailles dérobées,
Quelques œufs fraîchement gobés,
Ils te poursuivent,
Comm’ si les r’nards, soudainement,
Ça d’vait bouffer plus qu’du chiendent
Ou des olives

Ta vie,
On te la joue à face ou pile,
Pardi,
On est poète ou imbécile,
J’veux dire
Qu'’on est Ysengrin ou Goupil

Renardeau, réfugié
Au fond de ton terrier,
Auprès de ta douce Hermeline,
Près de celle qui t’attend,
Que tu lèches longtemps,
Ta princesse, ton orpheline,
Loin de ce monde de faux-culs
Qui n’ pens’ qu’à te tirer dessus,
Vaille que vaille,
Endors-toi et fais de beaux rêves,
Avant que toi et moi, on crève
Sous leur mitraille

Notr’ vie,
On nous la joue à face ou pile,
Pardi
On est poète ou imbécile,
J’ veux dire
Qu’on est Ysengrin ou Goupil !


UN VILLAGE

Un village,
C’est la grande famille
Où les garçons, les filles
Se marient à vingt ans,
Un village,
C’est chacun, sa chacune,
Car, à la pleine lune,
Le lit est bien trop grand,
Un village,
C’est la pauvresse en cloque,
Les sourires équivoques
De tout’s les «braves» gens,
Un village,
C’est une fausse légende
Racontée par les grandes
Aux tout petits enfants...

Un village,
C’est le curé en chaire,
Le docteur et le maire
Qui sont pas fiers pourtant,
Un village,
C’est la guerre et la haine,
Entre Albert et Eugène,
Pour un lopin de champ,
Un village,
C’est ce bloc unanime
A tirer grise mine
A l’étranger au clan,
Un village,
C’est l’idiot, que lapident
Les notaires placides
Qui passent en ricanant...

Un village,
N’en déplaise à Pagnol
Qui s’est payé notr’ fiole
Avec son grand talent
Un village,
C’est Marius en vitrine,
C’est Fanny aux cuisines
Avec tous les enfants,
Un village,
C’est ces fêtes espagnoles
De violence et d’alcool
Pour les adolescents,
Un village,
C’est les futures milices
Des chasseurs qui ratissent
Les lièvres et les gitans...

Un village,
Pas plus qu’une ville,
N’est cet îlot tranquille
Que je croyais pourtant,
Un village,
C’est, grossi à la loupe,
Une harde ou un groupe
De petits commerçants,

Un village,
A refermé ses portes
Sur sa vie de cloporte
Et sur mes quatorze ans,
Un village,
A bouclé ses frontières
Sur un morceau d’hiver

Sur un coin de Liban
Sur un coin de Liban.


MA MERE

Ma mère,
Pourquoi ne m'’as-tu jamais donné
Le câlin chaud, le gros baiser
Qui vient du fin fond des entrailles ?
Pourquoi, d'’un air paisible et doux,
N’as-tu pas demandé au loup,
Au croquemitaine, qu’ils s’en aillent ?
Tu sais, je me r’trouve aujourd’hui,
A trent’ sept ans, toutes les nuits,
Encore privé de tes caresses,
J’ai pas d’mandé à voir le jour
C’est les parents qui font l’amour
Et les mères qui font les grossesses...

Ma mère,
Tu ne m’as sûr’ment pas voulu
Mais j’étais là, fragile et nu,
Les bras tendus comme des branches,
Un enfant a besoin de tout,
De feuilles mortes et de toutous,
Et de tendresse et de dimanches...
Ah ! ces dimanches, auprès de toi,
A mon retour de l’internat,
Dieu ! que la semaine était lente
J’aurais voulu que tu me serres
Tout contre toi, tu sais, ma mère,
Et qu’on rie tous deux, et qu’on chante

Ma mère,
Comm’ d’autr’s, tu avais tes problèmes,
Ça doit pas empêcher qu’on s’aime,
Qu’on ait de l’amour à revendre,
De l’amour, j’en avais des tonnes
Bloquées au niveau du sternum,
Et Puis des envies de me pendre
Tu sais , je me r’trouve aujourd’hui
Devant les gens, devant la vie,
Recroquevillé dans ma peur,
Et quand on s’rencontre un instant,
On parl’ de la pluie et du temps
Avec, entre nous, la pudeur

Ma mère,
Si j’ai fait cett’ petit’ chanson
C’est que ça ne tournait pas rond
Dans ma poitrine, c’est que je t’aime,
Le prochain jour que l’on se voit
Approche-toi plus près de moi
Tu sais, je ne mords pas quand même
Il nous reste si peu de temps
Pour rattraper les heures d’antan,
Avant que la mort ne nous prenne,
Pourquoi ne pas boire tous les deux
Là ou boivent les gens heureux,
Ensemble à la même fontaine ?

Pourquoi ne pas boire tous les deux
Là ou boivent les gens heureux,
Ensemble à la même fontaine


Au cinéma papa
Allons au cinéma, papa,
Y r'voir tes guerres,
Verdun, Okinawa, papa,
Les bérets verts,
Sur des fauteuils qui vibrent
Et qui nous massent
Le cerveau et le chibre
A la culasse
Car voilà qu'aujourd'hui, plus que jamais virils
Les hommes s'envoient en l'air à d'autres vaudevilles,
Leur faut du sang qui coule, bien chaud et des batailles
Bref, il leur faut l'Histoire pour s'faire jouir la tripaille

Allons au cinéma, papa,
Voir comm' ça bouge
Ah ! la bell' bleue lilas, papa,
Ah ! la bell' rouge
Dans ce feu d'artifice
En "Tuecolor",
Tu es bon pour l'service,
On te r' décore
King-Kong est au chômage, et la Tour Infernale
A Laissé place chaude aux gars d'Guadalcanal,
Des films-catastrophes, faut dire qu'ces plus bandants
C'est quand même nos vraies guerres, trip's pour trip's,dents pour dents !

Allons au cinéma, papa,
Y r' fair' le zouave,
A quand Hiroshima, papa,
Tu parl's, j'en bave,
Un p'tit plat d' champignons
Bien atomiques
Sur écran super-son,
Panoramique
Y a pas à dire, chez nous, quand même, ça fait une paye
Qu'on s'est pas arraché les burnes ou les oreilles,
Y a pas à dire, chez nous, on a un sacré r'tard
Regard' la guerre d'Espagne : ça, c'était des fêtards

Pour compenser notr manque, dans les salles obscures,
Jetez-nous du napalm tout chaud à la figure,
Balancez vos grenades jusque au dernier rang,
Là où c'qu'y a les métèques barbus, les non-violents

Allez au cinéma, papa,
Beaux-frères et oncles,
Y réchauffer là-bas, papas,
Vos vieux furoncles,
Allez vous entrainer, frangins,
Pour la prochaine,
Où nous, on s'ra lapins

Ou indigènes


UNE GARE

Une gare,
Un hangar
Gar' du Nord, Gar' de Lyon, Gar' Centrale,
C'est un port, un' prison, c'est les Halles...
Mon ticket
Pour ton quai,
Où les gens me bousculent et m'empêchent
De courir, et je crie, je te cherche...

Une gare
Au hasard
Ces soldats s'en vont à la guerre,
Tous ceux-là s'en viennent de la faire...
Mon ticket
Pour ton quai,
D'où les grands rapides t'entrainent,
D'où jamais les amours ne reviennent...

Une gare
De départ
Homm's d'affaires fumant dans les "pull-man"
Emigrants perdus dans la boucane...
Mon ticket
Pour ton quai
Entre deux valises de peine
Mon regard vers ton foulard de laine...

Une gare
Un espoir
Car avant que le train ne te prenne,
J'ai posé mes deux mains sur les tiennes.
Nos tickets,
Sur le quai,
Aux quatre vents éparpillés...
"Viens  Rentrons vite chez nous... à pied


TOUTES LES FEMMES SONT BELLES

Toutes les femmes sont belles,
Toutes les femmes sont tièdes,
Toutes les femmes sont pacifiques,
Toutes les femmes sont douces,
Toutes les femmes sont mousse,
Toutes les femmes sont magnifiques
Grand'mères- parchemins
Les veines sur vos mains
Coul'ent en canaux, en rivières,
Grand'mamans-bateaux,
Vos yeux gris sur l'eau
Voguent encore vers hier...

Ell's sont toutes neuves,
Mêm' quand ell's n'en peuvent
Plus de se donner, se vendre,
Ell's sont toujours les
Filles aux dents de lait
De mes rentrées de septembre,
Toujours écolières,
Déjà millénaires,
Toujours sur nous en avance.
Brebis ou bergères,
Ell's fleur'ent la litière,
La luzerne, la semence...

Toutes les femmes sont belles,
Toutes les femmes sont tièdes,
Toutes les femmes sont pacifiques,
Toutes les femmes Sont calmes,
Toutes les femmes sont palmes,
Toutes les femmes sont d'Afrique,
Mal épanouies par
Des amants ringards
Qui s'affolent et qui se pressent,
Trop tôt engrossées
De petits poucets
Aux caillous blancs de tendresse...

Benoîte, ma soeur,
Lorsqu'une femme meurt
Après longtemps de patience,
Ça fait plus de bruit
Que toute sa vie
D'humilité, de silence,
Pauvres Don Juans
Pauvr's princes charmants
Qui disiez  "Dors et sois belle"
Voilà qu'aujourd'hui
L'oiseau part du nid,
Qu'elle s'envole, l'hirondelle..

Toutes les femmes sont belles,
Toutes les femmes sont tièdes,
Toutes les femmes sont pacifiques,
Toutes les femmes sont douces,
Toutes les femmes sont mousse,
Toutes les femmes sont magnifiques


Un piano

Paroles : Henri Tachan
Musique Jean-Sébastien Bach et Henri Tachan

Un Piano,
C’est tièd’e comme une femme,
Un Piano,
Ca tient les mains au chaud
Et ça tient chaud à l’âme,
Un Piano,
C’est comme un catafalque,
Ca sens déjà l’encens,
Un Piano,
C’est doux comme du talc...

Et dedans, dorment les musiciens,
La tête penchée sur des blanches,
Comme un nid blotti dans les branches,
La tête de Jean-Sébastien

Un Piano,
Mais oui, c’est transportable,
Un Piano,
J’en ai un dans mon ventre,
J’en ai un dans mon cartable,
Un Piano,
Ca tremble’ comme un fanal
Au fond d’une vallée,
Un Piano,
C’est long comme un canal...

Et dedans, se noient les musiciens,
La tête penchée sur des noires,
Ils me racontent leur histoire,
L’histoir’e de Jean-Sébastien...

Un Piano,
C’est là comme un ami,
Un Piano,
Ca donne son silence,
Ca vous veille la nuit,
Un Piano,
C’est lourd comme une armoire,
Ca couve la Musique,
Un Piano,
Ca garde la mémoire...

Et dedans, rêvent les musiciens,
La tête penchée sur l’ivoire,
Y a pas besoin de jouer pour voir
La tête de Jean-Sébastien...

Au Piano,
Je m’y asseois souvent,
Sans toucher, sans toucher,
Et j’attends, et j’attends...

Que revienn’ent les musiciens,
La tête penchée sur la Vie,
Qu’il revienn’e le souvenir ancien
Des doigts de DINU LIPATTI.


Le lit

Paroles : Henri Tachan
Musique : Jean-Paul Roseau

Comme la mousse,
Comme la source
Qui s’enroule et jaillit,
Comme la terre,
Et la litière,
Comme à l’oiseau le nid,
Comme les langes,
Les ailes d’anges
Autour des tous petits,
Comme la chair
De cette mère,
Le ventre de la Vie...

Le Lit,
Petit,
Nous escorte,
Au gré du vent,
Jusque devant
La Porte,
Le Lit,
Petit,
Nous inonde,
Quand on est pris,
Quand on arri-
Ve au Monde !

Comme une plaine,
Une fontaine
Dans la ville endormie,
Comme une lande,
Un noman’s land
En pays ennemi,
Comme un repère,
Une lumière
Tout au bout de la nuit,
Comme un refuge
Sous le déluge,
Une arche de la Vie...

Le Lit,
Ma Mie,
Nous surveille,
Quand on se prend
Au nez des gens
Qui veillent,
Le Lit,
Ma Mie,
Nous protège,
Quand on s’endort
Et que dehors
Il neige !

Comme une route
Qui nous déroute
Et qui ne mène à rien,
Comme l’ultime
Sommet ou cime
A portée de nos mains,
Comme ce somme
Qui dure en somme
Dix siècl’es, peut-être vingt,
Comme cette pause
Dont on nous cause
Dans l’Evangile Machin...

Le Lit,
Amis,
Nous recueille,
De ci, de là,
Pareils à cet-
Te feuille,
Le Lit,
Amis,
Me fait peur,
Quand on s’y tord,
Qu’on s’y endort,
Qu’on meurt. 


L’amour et l’amitié

Paroles et Musique : Henri Tachan

Entre l’amour et l’amitié
Il n’y a qu’un lit de différence,
Un simple « pageot », un « pucier »
Où deux animaux se dépensent,
Et quand s’installe la tendresse
Entre nos corps qui s’apprivoisent,
Que platoniquement je caresse
De mes yeux ta bouche framboise,
Alors l’amour et l’amitié
N’est-ce pas la même romance ?
Entre l’amour et l’amitié
Dites-moi donc la différence...

Je t’aime, mon amour, mon petit,
Je t’aime, mon amour, mon amie...

Entre l’amour et l’amitié
Ils ont barbelé des frontières,
Nos sentiments étiquetés,
Et si on aime trop sa mère
Ou bien son pote ou bien son chien,
Il paraît qu’on est en eau trouble,
Qu’on est cliniquement freudien
Ou inverti, ou agent double,
Alors qu’l’amour et l’amitié
Ont la mêm’e gueule d’innocence,
Entre l’amour et l’amitié
Dites-moi donc la différence...

Je t’aime, mon amour, mon petit,
Je t’aime, mon amour, mon amie...

Entre l’amour et l’amitié
La pudeur a forgé sa chaîne,
A la barbe du Monde entier
Et de ses gros rir’es gras de haine,
Bon an, mal an les deux compagnes
Se dédoublent où bien s’entremêlent,
Comme sur la haute montagne
Le ciel et la neige éternelle,
Entre l’amour et l’amitié
Se cache un petit bout d’enfance,
Entre l’amour et l’amitié
Il n’y a qu’un lit de différence...

Je t’aime, mon amour, mon petit,
Je t’aime, mon amour, mon amie !


La vie
 

Texte : Henri Tachan
Musique : Jean Musy
 

La Vie,
Ca tient dans une paume,
Ca résonne comme un psaume
Mais ce n’est qu’un’e java,
La Vie,
A peine est-elle éclose
On dirait une rose
Mais ce n’est qu’un dahlia,
La Vie,
Même si tu la bourres
De rêves et d’amours
Qui n’en finissent pas,
La Vie,
Même si pour l’Enfance
C’est plus beau que Byzance,
C’est toujours Carpentras !
La Vie,
Ca n’a pas de ressources,
C’est pas coté en Bourse
Comme l’or-étalon,
La Vie,
Ca se débine en douce
A la vie comm’e j’te pousse
Au détour d’un avion,
La Vie,
Si tu la perds, pas b’soin
De d’mander le chemin
D’la rue des Morillons,
La vie,
On croit que c’est « pépère »,
Bien planqué à l’arrière,
C’est toujours sur le front !
La Vie,
Pas l’temps d’fair’e des projets,
A pein’e même si j’ai
Le temps d’êtr’e rossignol,
La Vie,
On t’la donne, on t’la r’prend
Comme un jouet d’enfant,
Un’e divine babiole,
La Vie,
C’est un bout de répit
Qui couve au bain-Marie
Dans un’e drôl’e de cass’rôle,
La Vie,
C’est la supercherie
D’un Jupiter aigri,
D’un dieu à camisole !
La Vie,
Ca ne tient qu’à un fil,
Ca s’joue à face ou pile
Pour des profits et pertes,
La Vie,
Ca se sauve, ça s’épargne,
A la caisse d’épargne
Des guerres qu’on déserte,
La Vie,
Moi je la revendique
Pour le moindre moustique,
Pour la bête de somme,
La Vie,
C’est la fleur sans fusil,
C’est la Terr’e sans patrie,
C’est le Berceau des hommes,
La Vie !


La chasse

Paroles et Musique : Henri Tachan

Sur un’e boîte de conserve, sur un pigeon d’argile, vains dieux, c’est pas pareil
Pour les chasseurs, les vrais, il faut de la chair tiède avec du sang vermeil,
Pour les chasseurs, les vrais, il faut que ça palpite de plumes et de ramage,
Il faut que ça ait peur, il faut que ça se sauve, bref, que ce soit « sauvage »...

La Chasse,
C’est le défoul’ment national, c’est la soupape des frustrés,
La Chasse,
C’est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix !

Chaque mois de spetembre, le plumet au chapeau, ils part’ent comme en quarante,
Ranimer la flaflame du Chasseur Inconnu qu’avait du poil au ventre,
En cart’e comme les putes, ils dragu’ent à Rambouillet, ils tapin’ent en Sologne,
Mais quand ils tir’ent leur coup, le client de passag’e se réveille charogne...

La Chasse,
C’est le défoul’ment national, c’est le coït des frustrés,
La Chasse,
C’est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix !

Regardez-les marcher, l’arrogance au visage, le cœur sur la gachette,
Ces spadassins rentrés, ces héros d’Epinal, ces tueurs de fauvettes,
Regarder les marcher, ces Zaroff de banlieue, ces Hemingway d’Neuilly,
Vers le trou à lapin, vers la mare à canards, y faire leur safari...

La Chasse,
C’est le défoul’ment national, c’est la Villette des frustrés,
La Chasse,
C’est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix !

Les soldats ça s’enraye, les soldats ça se rouille, c’est comm’e les carabines
Le servic’e militair’e ça s’continue plus tard à coups de chevrotines :
Pour le chasseur français y avait le perdreau boche ou le lièvre fellouze,
Pour le chasseur franquiste l’anarchiste rouge-gorge et la chienne andalouse...

La Chasse,
C’est le défoul’ment national, c’est le p’tit Vietnam des frustrés,
La Chasse,
C’est la guéguerr’e permise aux hommes en temps de paix,
De paix ? !


Je suis v’nu, j’ai vu, j’suis vaincu

Paroles : Henri Tachan
Musique : Gérard Jouannest

Je suis v’nu, j’ai vu, j’suis vaincu,
Qui a fait sa bosse au bossu ?
Qui mène le bal
Qui m’a fait bancal ?
Qui a fait sa bosse au bossu ?
Diable ou Dieu peut-être,
les gens aux fenêtres,
Qui a fait sa bosse au bossu ?

Je suis v’nu, j’ai vu, j’suis vaincu,
Y avait pas un chat dans la rue,
Pas un chat tigré,
Pas un chat crevé,
Y avait pas un chat dans la rue.
Pas un n’s’est baissé
Pour me ramasser,
Y avait pas un chat dans la rue

Je suis v’nu, j’ai vu, j’ai mordu
Dans la peau d’un fruit défendu,
Dans la bergamotte
A pleines quenottes,
Dans la peau d’un fruit défendu,
Mais mon fruit se trotte,
Me laisse en compote,
Dans la peau d’un fruit défendu

Je suis v’nu, j’ai vu, j’ai pas pu
Jouer au p’tit soldat inconnu,
Les chiens et les loups
M’ont collé au trou,
Jouer au p’tit soldat inconnu,
Ma première minute
De silence débute,
Jouer au p’tit soldat inconnu

Tu es v’nu‘e, je n’t’attendais plus,
T’as coupé la corde au pendu,
Et d’un geste, d’un seul,
Jeté mon linceul,
T’as coupé la corde au pendu,
Et t’as dit au traître
« Je t’aime, peut-être ».
Tu es v’nu‘e, je n’t’attendais plus

Paroles : Henri Tachan (transcription FB d’après enregistrement)
Musique : Gérard Jouannest


Le grand méchant loup

Le loup depuis toujours a eu le mauvais rôle,
Sous son grand manteau noir il ricane, le drôle,
C’est le vilain Apache, le sanguinair’e Sioux,
C’est l’esquinteur d’enfants, c’est le grand méchant loup

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres Américains,
Combien de visages pâles et combien d’Indiens ?

Les trois petits cochons, tout au fond de leur planque,
Entassaient leurs millions, y avait pas encor’e d’banque,
Lorsque surgit, vengeur, le drapeau noir en main,
Notre Arsène Lupus, notre Arsène Loupin

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres marchands de grains,
Combien d’Oncle Picsou et combien de Mandrin ?

L’agnelet dodu buvait dans l’onde pure,
Cachant dessous sa laine une tendre nourriture,
Le loup en salivant lui dit « Mon pauvre agneau,
Même Jean de la Fontaine raffolait du gigot »

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres suceurs de sang,
Combien de cannibales, combien de non-violents ?

Le Petit Chaperon rouge, déjà fieffée salope,
Avec son p’tit pot d’beurre et sa petite culotte,
A dit à l’animal « Tu viens chez moi, mon loup ? »,
A une pareille invite qui refuse, qui de vous ?

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvre triste tapin,
Combien reste-t-il d’anges et combien de putains ?

Le loup sur son chemin de jeûne et de misère,
Explique à un beau chien, bien luisant, bien prospère,
A la vue de la chaîne accrochée à son cou,
« A toi la vie de chien, à moi la mort du loup »

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres caniches nains,
Combien y a-t-il d’esclaves et combien de mutins ?

Ne mêlez plus le loup à vos sales histoires,
Vos contes, vos dictons, c’est de la merde à boire,
Et si la faim, elle fait sortir le loup du bois,
Vos guerres vous font sortir de partout à la fois

Pauvres mecs, pauv’ blancs-becs, pauvres tristes filous,
Combien reste-t-il d’hommes, dites-moi, et de loups ?


Le présent

Paroles : Henri Tachan
Musique : jean Musy

Hier et demain, je m’en fout,
Le présent seul vaut le coup,
Ce présent que je conjugue
Soudain vogu’e comme une fugue,
Couché entre tes genoux,
Hier je naissais dans un chou,
Demain je s’rai mort, c’est tout

Tous les gens biens, Famille, Patrie,
Le cheveu court, et Dieu merci,
Le geste large à la grand messe,
Ceux qui dévorent du bicot,
De l’étudiant ou du gaucho,
Viennent me parler d’leur droit d’aînesse

Tous ces oncles, ces grands parents
Qui me rabâchent « De mon temps,
La jeunesse était plus discrète »
Eux qui couraient, en se cachant,
Chez Madame Claude, rue des Petits Champs,
Jeter leur gourme à la sauvette

Hier et demain, je m’en fout,
Le présent seul vaut le coup,
Ce présent que je récite
En effeuillant ma marguerite,
Pendant que hurlent les loups,
Hier je naissais dans un chou,
Demain je s’rai mort, c’est tout

Les bâtisseurs de l’avenir,
Les prophètes du devenir,
Qui tuent pour nous sur la planète,
Me réclament une pensée :
« Pour un monde bien meilleur et,
Parole de prince, jusqu'à perpète ! »

Ah vous, ne comptez pas sur moi,
Je ne suivrai pas cette voie,
Vers votre âge d’or d’opérette,
Votre futur, moi je le vois
Criblé de bagnoles et de croix,
Dans le fracas des bombinettes

Hier et demain, je m’en fout,
Le présent seul vaut le coup,
Ce présent que je murmure
Sous la pluie de ta chevelure,
Dans le torrent de ton cou,
Hier je naissais dans un chou,
Demain je s’rai mort, c’est tout

A votre course sans merci
J’oppose la force d’inertie,
J’hiberne, je chante, je vagabonde,
Ou bien, enroulé dans mon coin,
Bien en boule sur mon coussin,
Je respire chaque seconde

Chaque seconde de cette vie,
J’y mords comme dans le pain de mie,
La tranche de brioche blonde,
Un peu d’amour, un peu d’amie,
Quatre poèmes, trois symphonies,
Et moi aussi je r’fais le monde

Hier et demain, je m’en fout,
Le présent seul vaut le coup,
Ce présent qu’on nous arrache,
Qu’on nous décapite à la hache
Comme les arbres de partout,
Hier je naissais dans un chou,
Aujourd’hui j’ai peur, c’est tout,

Hier je naissais dans un chou,
Aujourd’hui j’ai peur, c’est tout


Le retour

Paroles : Henri Tachan
Musique : Jean-Paul Roseau

Les grands boeufs rentrant aux étables,
Tous les vieux autour de la table,
Et les belles, en dentelle,
Où sont-elles, où sont-elles ?

Les grands froids du mois de décembre,
Feu de bois au creux de ma chambre,
Et les belles, aux chandelles,
Où sont-elles, où sont-elles ?

Les berceaux de fleurs et de fraises,
Mes châteaux de vent et de glaise,
Et les belles, aux tourelles,
Où sont-elles, où sont-elles ?

Les buissons un peu forêt vierge,
Mon bâton aux trois-quarts flamberge,
Et les belles aux ombrelles,
Où sont-elles, où sont-elles ?

Cette nuit j’ai quitté mes chaînes,
Mes soucis, mon âge et mes peines,
Pour mes belles, aux margelles,
Qui m’appellent, qui m’appellent

Cette nuit je suis en partance
Vers le beau pays de l’enfance,
A tire-d’aile, vers mes belles,
Immortelles, immortelles,
Immortelles, immortelles


Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini

Ce soir c’est fête, ce soir j’ai invité
Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini,
Autour d’un verre, au chaud dans ma chambrée,
On va se jouer une petit’e mélodie

Et sur les notes, on oubliera le monde,
Qui n’en finit pas de tourner,
De marches funèbres et de tombeaux en tombes
On oubliera l’humanité

Mozart se lève, me crie « Par Jupiter !
Y a qu’chez toi qu’j’me sens moins poudré ! »,
Le vin pétille dans les yeux de Schubert
Qui se fredonne L’Inachevée,

Ce soir c’est fête, ce soir j’ai invité
Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini,
Autour d’un verre, au chaud dans ma chambrée,
On va se jouer une petit’e symphonie

Et sur les notes, on oubliera les femmes,
Qui n’en finissent pas de tourner,
De valses en Vienne et d’éventails en drames,
On oubliera même leur beauté

Beethoven sourit en pensant à Elise
Qui ne répondait pas au courrier,
Et Rossini m’apprend qu’Sémiramis(se)
C’était « La Pouta dou quartier »

Ce soir c’est fête, ce soir j’ai invité
Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini,
Autour d’un verre, au chaud dans ma chambrée,
On va se jouer un p’tit Don Giovanni

Et sur les notes, on oubliera la gloire,
Qui n’en finit pas de tourner,
A la roulette des succès illusoires,
La gloire microsillonisée

Rossini gueule « Mon Barbier de Séville,
Par Toscanini dirigé,
Ma z’est oun bombe, ma z’est oune torpille,
Ma z’est oun toube, z’est oun souccès ! »

Ce soir c’est fête, ce soir j’ai invité
Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini,
Autour d’un verre, au chaud dans ma chambrée,
On va se jouer un p’tit quintet en mi

Et sur les notes, on oubliera la mort,
Qui n’en finit pas de tourner,
De l’ouverture jusqu’au dernier point d’orgue,
On oubliera l’éternité

Demain y aura Mahler, Brahms et Schumann,
Pour faire plus longue la tablée,
Y a trop longtemps qu’la nobless’e mélomane
Se les était colonisée

Ce soir c’est fête, ce soir j’ai invité
Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini,
Autour du dernier verre dans ma chambrée,
On va se jouer La Petite Musique de Nuit


Pas d’enfant

Je ne veux pas d’enfant,
Pas de fruit à mon arbre,
A mon chêne pas de gland,
A mes joues pas de barbe,
Je ne veux pas d’enfant
Pour consoler ma mort,
Pas de petit mutant,
Pas de petit Médor

Je ne veux pas d’enfant
Qui sèche au tableau noir,
A la Guerre de Cent Ans,
Au fond d’un réfectoire,
Pas d’enfant aux curés,
Aux gradés, aux grognasses,
Pas d’enfant au piquet,
Ou premier de la classe

Je ne veux pas d’enfant
Qui pleure ou qui babille
Et dont on est fier quand
Il fait souffrir les filles,
Je ne veux pas d’enfant
Pour réussir mes rêves,
Les rêves des parents
Qui s’étiolent et qui crèvent

Je ne veux pas d’enfant
Qu’on s’épingle en médaille,
Qu’on arbore clinquant
Bien avant la bataille,
Je ne veux pas d’enfant
Pour la paix des ménages,
Petit témoin tremblant
Des couples en naufrage

Je ne veux pas d’enfant,
Je ne suis pas normal,
J’ai déserté les rangs
Du troupeau génital,
C’est comme si j’étais nonne,
Gauchiste ou non-violent,
Enfin, de cette pègre
Qui fait peur aux parents

Je ne veux pas d’enfant,
je le gueule à la face
De ce monde des grands
Assassins et rapaces,
Pas d’enfant pour vos guerres,
Vous les ferez sans lui,
Dans le sein de sa mère
Il objecte sa vie,

Dans le sein de sa mère
Il objecte sa vie !


visiteurs pour cette page depuis le 21/09/97