Félix Leclerc
  • Merci à Aubert Tremblay
  • à Ginette Boucher
  • et à Pauline Hébert
  • Notre sentier

  • l'Hymne au printemps

    Les blés sont mûrs et la terre est mouillée
    Les grands labours dorment sous la gelée
    L'oiseau si beau hier s'est envolé
    La porte est close sur le jardin fané

    Comme un vieux râteau oublié
    Sous la neige je vais hiverner
    Photos d'enfants qui courent dans les prés
    Seront mes seules joies pour passer l'été
    Mes cabanes d'oiseaux sont vidées
    Le vent pleure dans ma cheminée
    Et dans mon coeur je m'en vais composer
    L'hymne au printemps pour celle qui m'a quitté

    Quand mon amie viendra par la rivière
    Au mois de mai après le dur hiver
    Je sortirai bras nus dans la lumière
    Et lui dirai le salut de la terre

    Vois les fleurs ont recommencé
    Dans l'étable crient les nouveaux-nés
    Viens voir la vieille barrière rouillée
    Endimanchée de toiles d'araignées
    Les bourgeons sortent de la mort
    Papillons ont des manteaux d'or
    Près du ruisseau sont alignées les fées
    Et les crapeaux chantent la liberté
    Et les crapeaux chantent la liberté


    LE PETIT BONHEUR

    C'est un p'tit bonheur que j'avais ramassé
    Il était tout en pleurs sur le bord d'un fossé
    Quand il m'a vu passer il s'est mis à crier
    Monsieur ramassez-moi chez-vous amenez-moi

    Mes frères m'ont oubliés je suis tombé je suis malade
    Si vous ne me cueillez point je vais mourir quelle balade
    Je me ferai petit tendre et soumis je vous le jure
    Monsieur je vous en prie délivrez-moi de ma torture

    J'ai pris le p'tit bonheur l'ai mis sous mes haillons
    J'ai dit "faut pas qu'y meure viens-t-en dans ma maison
    Alors le p'tit bonheur a fait sa guérison
    Sur le bord de mon coeur y'avait une chanson

    Mes jours, mes nuits, mes peines, mes deuils, mon mal tout fût oublié
    Ma vie de désoeuvré j'avais dégoût d'la recommencer
    Quand il pleuvait dehors ou que mes amis m'faisaient des peine
    J'prenais mon p'tit bonheur et j'lui disait c'est toi ma reine

    Mon bonheur a fleuri il a fait des bourgeons
    C'était le paradis ça s'voyait sur mon front
    Or un matin joli que je sifflais ce refrain
    Mon bonheur est parti sans me donner la main

    J'eu beau le supplier le cajoler lui faire des scènes
    Lui montrer le grand trou qu'il me faisait au fond du coeur
    Il s'en allait toujours la tête haute, sans joie, sans haine
    Comme s'il ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure

    J'ai bien pensé mourir de chagrin et d'ennui
    J'avais cessé de rire c'était toujours la nuit
    Il me restait l'oubli il me restait le mépris
    Enfin que je me suis dit il me reste la vie

    J'ai repris mon bâton, mes deuils, mes peines et mes guenilles
    Et je bat la semelle dans des pays de malheureux
    Aujourd'hui quand je vois une fontaine ou une fille
    Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux
    Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux


    Notre sentier

    1  Notre sentier près du ruisseau
    Est déchiré par les labours
    Si tu venais fixe le jour
    Je t'attendrais sous le bouleau
    Les nids sont vides et décousus
    Le vent du Nord chasse les feuilles
    Les alouettes ne volent plus,
    Ne dansent plus les écureuils
    Même les pas de tes sabots
    Sont agrandis en flaques d'eau
     

    2  Notre sentier près du ruisseau
    Est déchiré par les labours
    Si tu venais fixe le jour
    Je guetterais sous le bouleau
    J'ai réparé un nid d'oiseau
    Je l'ai cousu de feuilles mortes
    Mais si tu vois sur tous les clôts
    Les rendez-vous de noirs corbeaux
    Vas-tu jeter en flaques d'eau
    Tes souvenirs et tes sabots ?

    3  Tu peux pleurer près du ruisseau
    Tu peux briser tout mon amour
    Oublie l'été, oublie le jour
    Oublie mon nom et le bouleau.