Georges Moustaki
Et un grand merci à Maria Alice da Silva Espindola, Micette, et à Fernanda Figueiredo 
Ma liberté
Ma liberté
Longtemps je t'ai gardée
Comme une perle rare
Ma liberté
C'est toi qui m'a aidé
A larguer les amarres
Pour aller n'importe où
Pour aller jusqu'au bout
Des chemins de fortune
Pour cueillir en rêvant
Une rose des vents
Sur un rayon de lune

Ma liberté
Devant tes volontés
Mon âme était soumise
Ma liberté
Je t'avais tout donné
Ma dernière chemise
Et combien j'ai souffert
Pour pouvoir satisfaire
Toutes tes exigences
J'ai changé de pays
J'ai perdu mes amis
Pour gagner ta confiance

Ma liberté
Tu as su désarmer
Toutes Mes habitudes
Ma liberté
Toi qui m'a fait aimer
Même la solitude
Toi qui m'as fait sourire
Quand je voyais finir
Une belle aventure
Toi qui m'as protégé
Quand j'allais me cacher
Pour soigner mes blessures

Ma liberté
Pourtant je t'ai quittée
Une nuit de décembre
J'ai déserté
Les chemins écartés
Que nous suivions ensemble
Lorsque sans me méfier
Les pieds et poings liés
Je me suis laissé faire
Et je t'ai trahi pour
Une prison d'amour
Et sa belle geôlière


Le métèque
Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Avec mes yeux tout délavés, qui me donnent l'air de rêver
Moi qui ne rêve plus souvent.
Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rôdeur
Qui ont pillé tant de jardins
Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu
Sans jamais assouvir sa faim

Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec
De voleur et de vagabond
Avec ma peau qui s'est frottée au soleil de tous les étés
Et tout ce qui portait jupon
Avec mon coeur qui a su faire souffrir autant qu'il a souffert
Sans pour cela faire d'histoire
Avec mon âme qui n'a plus la moindre chance de salut
Pour éviter le purgatoire.

Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Je viendrai ma douce captive, mon âme soeur, ma source vive
Je viendrai boire tes vingt ans
Et je serai prince de sang, rêveur, ou bien adolescent
Comme il te plaira de choisir
Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour
Que nous vivrons à en mourir.
Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour
Que nous vivrons à en mourir.


Déclaration
Je déclare l'état de bonheur permanent
Et le droit de chacun à tous les privilèges
Je dis que la souffrance est chose sacrilège
Quand il y a pour tous des roses et du pain blanc

Je conteste la légitimité des guerres
La justice qui tue et la mort qui punit
Les consciences qui dorment au fond de leur lit
La civilisation au bras des mercenaires

Je regarde mourir ce siècle vieillissant
Un monde différent renaîtra de ses cendres
Mais il ne suffit plus simplement de l'attendre
Je l'ai trop attendu je le veux à présent

Que ma femme soit belle à chaque heure du jour
Sans avoir à se dissimuler sous le fard
Et qu'il ne soit plus dit de remettre à plus tard
L'envie que j'ai d'elle et de lui faire l'amour

Que nos fils soient des hommes non pas des adultes
Et qu'ils soient ce que nous voulions être jadis
Que nous soyons frères camarades et complices
Au lieu d'être deux générations qui s'insultent

Que nos pères puissent enfin s'émanciper
Et qu'ils prennent le temps de caresser leur femme
Après toute une vie de sueur et de larmes
Et des entre-deux-guerres qui n'étaient pas la paix

Je déclare l'état de bonheur permanent
Sans que ce soit des mots avec de la musique
Sans attendre que viennent les temps messianiques
Sans que ce soit voté dans aucun parlement

Je dis que désormais nous serons responsables
Nous ne rendrons de compte à personne et à rien
Et nous transformerons le hasard en destin
Seuls à bord et sans maître et sans dieu et sans diable

Et si tu veux venir passe la passerelle
Il y a de la place pour tous et pour chacun
Mais il nous reste à faire encore du chemin
Pour aller voir briller une étoile nouvelle

Je déclare l'état de bonheur permanent


Hiroshima
Par la colombe et l'olivier
Par la détresse du prisonnier
Par l'enfant qui n'y est pour rien

Peut-être viendra-t-elle demain

Avec les mots de tous les jours
Avec les gestes de l'amour
Avec la peur avec la faim

Peut-être viendra-t-elle demain

Par tous ceux qui sont déjà morts
Par tous ceux qui vivent encore
Par ceux qui voudraient vivre enfin

Peut-être viendra-t-elle demain

Avec les faibles avec les forts
Avec tous ceux qui sont d'accord
Ne seraient-ils que quelques-uns

Peut-être viendra-t-elle demain

Par tous les rêves piétinés
Par l'espérance abandonnée
A Hiroshima ou plus loin
Peut-être viendra-t-elle demain

A Hiroshima ou plus loin
Peut-être viendra-t-elle demain

A Hiroshima ou plus loin
Peut-être viendra-t-elle demain

LA PAIX


La ligne droite
Je ne t'attends pas au bout d'une ligne droite
Je sais qu'il faudra faire encore des détours
Et voir passer encore des jours et des jours
Mais sans que rien ne vienne éteindre notre hâte

Il pleut chez moi chez toi le soleil est de plomb
Quand pourrons nous enfin marier nos saisons
Quand pourrons nous rentrer ensemble à la maison
Nous avons le temps mais pourquoi est-ce si long

Mes habits ont parfois des traces de poussière
Et le parfum fâné des amours passagères
Qui m'ont rendu la solitude plus légère
A l'aube de mes nuits blanches et solitaires

Et toi mon bel amour dis moi s'il y a des hommes
Qui t'ont rendu la vie un peu moins monotone
Qui t'aident à supporter l'hiver après l'automne
Et les silences obstinés du téléphone

Nous nous raconterons nos triomphes nos fêtes
Mais comment s'avouer toutes nos défaites
L'angoisse qui nous tient l'angoisse qui nous guette
Et s'accroche à chaque pensée à chaque geste

Je sais que tu seras au bout de mes voyages
Je sais que tu viendras malgré tous les détours
Nous dormirons ensemble et nous ferons l'amour
Dans un monde réinventé à notre image


Le petit homme et le grand homme
Le petit homme
Portait un uniforme
Et des souliers vernis

Le grand homme allait les pieds nus

Le petit homme
Serrait dans ses poings
La crosse d'un fusil

Le grand homme avait les mains nus

Le petit homme
Portait dans son sac
Les oiseaux qu'il avait tués

Le grand homme ramassait des fruits

Le petit homme
Marchait sur l'asphalte
Des routes bien tracées

Le grand homme allait à travers champs

Ils auraient pu ne jamais se rencontrer
Pourtant un jour les deux routes se croisèrent

Le petit homme prit peur et recula
Il arma son fusil

Le grand homme en souriant tendit les mains vers lui

Et le coup partit.


Les enfants d'hier
Nous sommes des enfants d'hier
Qui n'ont pas encore grandi
Nous tirons encore la langue
Et nous faisons beaucoup de bruit
Nous jouons avec des guitares
Et nous écrivons des chansons
Nous fumons des herbes bizarres
Qui poussent autour de la maison

Parfois la vie nous illumine
Quand le soleil est de retour
Sur le sommet de ces collines
Où nous allons faire l'amour
C'est nous que les voisins détestent
C'est à nous qu'on offre des fleurs
On surveille nos moindres gestes
On reprend nos chansons en choeur

Notre berceuse était amère
Quand nous étions petits soldats
Lorsque dehors il faisait guerre
Lorsque dedans il faisait froid

Nous sommes des enfants d'hier
Qui n'ont pas encore grandi
Nous tirons encore la langue
Et nous faisons beaucoup de bruit


Rien n'a changé
Rien n'a changé et pourtant tout est différent
Rien n'est pareil et pourtant tout est comme avant
Où est-tu si loin mon amour
Pourquoi es-tu si loin

Au café de nos rencontres je m'assieds à la terrasse
J'y vois les mêmes amis les mêmes gens
Poliment je les écoute je souris à leurs grimaces
Mais c'est toi que je vois c'est toi que j'entends

Rien n'a changé et pourtant tout est différent
Rien n'est pareil et pourtant tout est comme avant
Où est-tu si loin mon amour
Pourquoi es-tu si loin

Je m'arrête à la vitrine de la librairie d'en face
Puis je repars les mains vides nez au vent
Et je continue de vivre parmi les ombres qui passent
Et ramènent mes souvenirs au présent

Rien n'a changé et pourtant tout est différent
Rien n'est pareil et pourtant tout est comme avant
Où est-tu si loin mon amour
Pourquoi es-tu si loin

J'ai fait rentrer quelques bûches j'ai changé le lit de place
Et j'ai fait repeindre les murs tout en blanc
Mais les nuits semblent bien longues la solitude me glace
Et le lit est devenu beaucoup trop grand

Rien n'a changé et pourtant tout est différent
Rien n'est pareil et pourtant tout est comme avant


Votre fille a vingt ans
Votre fille a vingt ansque le temps passe vite
Madame hier encore elle était si petite
Et ses premiers tourments sont vos premières rides
Madame
Et vos premiers soucis

Chacun de ses vingt ans pour vous a compté double
Vous connaissez déjà tout ce qu'elle découvre
Vous avez oublié les choses qui la troublent
Madame
Et vous troublaient aussi

On la trouvait jolie voici qu'elle est belle
Pour un individu presqu'aussi jeune qu'elle
Un garçon qui ressemble à celui pour lequel
Madame
Vous aviez embelli

Ils se font un jardin d'un coin de mauvaise herbe
Nouant la fleur de l'âge en un bouquet superbe
Il y a longtemps que nul ne vous a mise en gerbe
Madame
Le printemps vous oublie

Chaque nuit qui vous semble à chaque nuit semblable
Pendant que vous rêvez vos rêves raisonnables
De plaisir et d'amour ils se rendent coupables
Madame
Au creux du même lit

Mais coupables jamais n'ont eu tant d'innocence
Aussi peu de regrets et tant d'insouciance
Qu'ils ne demandent même pas votre indulgence
Madame
Pour leurs tendres délits

Jusqu'au jour où peut-être à la première larme
À la première peine d'amour et de femme
Il ne tiendra qu'à vous de sourire
Madame
Madame
Pour qu'elle vous sourie


IL Y AVAIT UN JARDIN
C'est une chanson pour les enfants
Qui naissent et qui vivent entre l'acier
Et le bitume, entre le béton et l'asphalte
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre
Il brillait au soleil comme un fruit défendu
Non ce n'était pas le paradis ni l'enfer
Ni rien de déjà vu ou déjà entendu

Il y avait un jardin, une maison, des arbres
Avec un lit de mousse pour y faire l'amour
Et un petit ruisseau roulant sans une vague
Venait le rafraichir et poursuivait son cours

Il y avait un jardin grand comme une vallée
On pouvait s'y nourrir à toutes saisons
Sur la terre brûlante ou sur l'herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n'avaient pas de nom

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre
Il était assez grand pour des milliers d'enfants
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenait eux-mêmes de leurs grands-parents

Où est ce jardin où nous aurions pu naître
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus
Où est cette maison toutes portes ouvertes
Que je cherche encore et que je ne trouve plus


JE NE SAIS PAS OÙ TU COMMENCES
Tu portes ma chemise
Et je mets tes colliers
Je fume tes gitanes
Tu bois mon café noir
Tu as mal à mes reins
Et j'ai froid à tes pieds
Tu passes mes nuits blanches
Et j'ai tes insomnies

Je ne sais pas où tu commences
Tu ne sais pas où je finis

Tu as des cicatrices
Là où je suis blessé
Tu te perds dans ma barbe
J'ai tes poignets d'enfant
Tu viens boire à ma bouche
Et je mange à ta faim
Tu as mes inquiétudes
Et j'ai tes rêveries

Je ne sais pas où tu commences
Tu ne sais pas où je finis

Tes jambes m'emprisonnent
Mon ventre te retient
J'ai ta poitrine ronde
Tu as mes yeux cernés
Ton souffle me réchauffe
Et j'étouffe tes cris
Je me tais quand tu m'aimes
Tu dors quand je le dis.


LES EAUX DE MARS

Antonio Carlos Jobim / Georges Moustaki

Un pas, une pierre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c’ est un peu solitaire
C’ est un éclat de verre, c’ est la vie, le soleil
C’ est la mort, le sommeil, c’ est un piège entrouvert

Un arbre millénaire, un noeud dans le bois
C’ est un chien qui aboie, c’ est un oiseau dans l’ air
C’ est un tronc qui pourrit, c’ est la neige qui fond
Le mystère profond, la promesse de vie

C’ est le souffle du vent au sommet des collines
C’ est une vieille ruine, le vide, le néant
C’ est la pie qui jacasse, c’ est l’ averse qui verse
Des torrents d’ allégresse ce sont les eaux de Mars

C’ est le pied qui avance à pas sûr, à pas lent
C’ est la main qui se tend, c’ est la pierre qu’ on lance
C’ est un trou dans la terre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c’ est un peu solitaire

C’ est un oiseau dans l’ air, un oiseau qui se pose
Le jardin qu’ on arrose, une source d’ eau claire
Une écharde, un clou, c’ est la fièvre qui monte
C’ est un compte à bon compte, c’ est un peu rien du tout

Un poisson, un geste, c’ est comme du vif argent
C’ est tout ce qu’ on attend, c’ est tout ce qui nous reste
C’ est du bois, c’ est un jour le bout du quai
Un alcool trafiqué, le chemin le plus court

C’ est le cri d’ un hibou, un corps ensommeillé
La voiture rouillée, c’ est la boue, c’ est la boue
Un pas, un pont, un crapaud qui croasse
C’ est un chaland qui passe, c’ est un bel horizon
C’ est la saison des pluies, c’ est la fonte des glaces
Ce sont les eaux de Mars, la promesse de vie

Une pierre, un bâton, c’ est Joseph et c’ est Jacques
Un serpent qui attaque, une entaille au talon
Un pas, une pierre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c’ est un peu solitaire

C’ est l’ hiver qui s’ efface, la fin d’ une saison
C’ est la neige qui fond, ce sont les eaux de Mars
La promesse de vie, le mystère profond
Ce sont les eaux de Mars dans ton coeur tout au fond

Un pas une " ... pedra é o fim do caminho é um resto de toco
É um pouco sozinho ... " un pas une pierre un chemin qui chemine
Un reste de racine c’ est un peu solitaire


visiteurs pour cette page depuis le 21/09/97