Jean Ferrat

Maria
Maria avait deux enfants
Deux garçons dont elle était fière
Et c'était bien la même chair
Et c'était bien le même sang

Ils grandirent sur cette terre
Près de la Méditerranée
Ils grandirent dans la lumière
Entre l'olive et l'oranger

C'est presqu'au jour de leurs vingt ans
Qu'éclata la guerre civile
On vit l'Espagne rouge de sang
Crier dans un monde immobile

Les deux garçons de Maria
N'étaient pas dans le même camp
N'étaient pas du même combat
L'un était rouge et l'autre blanc

Qui des deux tira le premier
Le jour où les fusils parlèrent
Et lequel des deux s'est tué
Sur le corps tout chaud de son frère

On ne sait pas, tout ce qu'on sait
C'est qu'on les retrouva ensemble
Le blanc et le rouge mêlés
A même les pierres et la cendre

Si vous lui parlez de la guerre
Si vous lui dites liberté
Elle vous montrera la pierre
Où ses enfants sont enterrés

Maria avait deux enfants
Deux garçons dont elle était fière
Et c'était bien la même chair
Et c'était bien le même sang


C'est beau la vie
Le vent dans tes cheveux blonds
Le soleil à l'horizon
Quelques mots d'une chanson
Que c'est beau, c'est beau la vie

Un oiseau qui fait la roue
Sur un arbre déjà roux
Et son cri par-dessus tout
Que c'est beau, c'est beau la vie

Tout ce qui tremble et palpite
Tout ce qui lutte et se bat
Tout ce que j'ai cru trop vite
À jamais perdu pour moi

Pouvoir encore regarder
Pouvoir encore écouter
Et surtout pouvoir chanter
Que c'est beau, c'est beau la vie

Le jazz ouvert dans la nuit
Sa trompette qui nous suit
Dans une rue de Paris
Que c'est beau, c'est beau la vie

La rouge fleur éclatée
D'un néon qui fait trembler
Nos deux ombres étonnées
Que c'est beau, c'est beau la vie

Tout ce que j'ai failli perdre
Tout ce qui m'est redonné
Aujourd'hui me monte aux lèvres
En cette fin de journée

Pouvoir encore partager
Ma jeunesse, mes idées
Avec l'amour retrouvé
Que c'est beau, c'est beau la vie

Pouvoir encore te parler
Pouvoir encore t'embrasser
Te le dire et le chanter
Oui c'est beau, c'est beau la vie


Nuit et Brouillards
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers,
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants,
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.
Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres:
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés.
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre,
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

La fuite monotone et sans hâte du temps,
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir.
Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel,
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou,
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel,
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.

Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage;
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux?
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenus si bleues.
Les Allemands guettaient du haut des miradors,
La lune se taisait comme vous vous taisiez,
En regardant au loin, en regardant dehors,
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers.

On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours,
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour,
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire,
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare.
Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été,
Je twisterais les mots s'il fallait les twister,
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers,
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés,
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants,
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.


Ma France
De plaines en forêts, de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France

Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tenant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont Monsieur Thiers a dit : qu'on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes-prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes, vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu'elle monte des mines, descende des collines
Celle qui chante en moi, la belle, la rebelle
Elle tient l'avenir inséré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France


NOUS DORMIRONS ENSEMBLE

Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l’enfer ou le paradis
Les amours aux amours resemblent
C’était hier que je t’ai dit

Nous dormirons ensemble

C’était hier et c’est demain
Je n’ai plus que toi de chemin
J’ai mis mon coeur entre tes mains
Comme le tien comme il va l’amble
Tout ce qu’il a de temps humain

Nous dormirons ensemble

Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J’ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t’aime que j’en tremble
Aussi longtemps que tu voudras

Nous dormirons ensemble.
 


AIMER A PERDRE LA RAISON
 
 

Refrain: Aimer à perdre la raison
  Aimer à n'en savoir que dire
  A n'avoir que Toi d'horizon
  Et ne connaître des saisons
  Que la douleur de partir
  Aimer à perdre la raison
 

1 Ah c'est toujours toi que l'on blesse
C'est toujours ton miroir brisé
 Mon pauvre bonheur, ma faiblesse
 Toi qu'on insulte et qu'on délaisse
 Dans toute chair martyrisée
 

2 La faim, la fatigue et le froid
Toutes les misères du monde
 C'est par mon amour que j'y crois
 En elle je porte ma croix
 Et de leurs nuits ma nuit se fonde


POTEMKINE
 

1 M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi au bruit de l'océan
M'en voudrez-vous beaucoup si la révolte grande
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents
Ma mémoire chante en sourdine.................Potemkine

2 Ils étaient des marins durs à la discipline
Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le coeur d'un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassier
Sur les flots je l'imagine.................Potemkine

3 M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
A celui qui a faim va être fusillé
Le crime se prépare et la mer est profonde
Que face aux révoltés montent les fusiliers,
C'est mon frère qu'on assassine.................Potemkine

4 Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin, ne tire pas sur un autre marin
Ils tournèrent leurs carabines.................Potemkine

5 M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on punit ainsi qui veut donner la mort,
M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un  monde
Où l'on est pas toujours du côté du plus fort
Ce soir, j'aime la marine.................Potemkine


Quatre Cents Enfants Noirs

1963
Paroles de Michel SENLIS
Musique de Jean FERRAT

Quatre cents enfants noirs
Dans un journal du soir
Et leur pauvre sourir
Ces quatres cents visages
A la premiere page
M'empechent de dormir

Toi tu dors pres de moi
Heureuse et je le sais
Tu dors comme autrefois
Moi aussi je dormais
Si la nuit est venue
Pourtant Paris n'est plus
Qu'un effrayant silence

J'attends que le jour vienne
J'attends que l'on etaigne
J'attends qu'un oiseau chante
Qu'un oiseau chante

Quatres cents enfants noirs
Sans manger et sans boire
Avec leurs gransd yeux tristes
Ces quatres cents prieres
Dans un hebdomadaire
Rappellent qu'ils existent

Toi tu dors malgre tout
De ton sommeil heureux
Tu dors et tout a coup
Je suis seul avec eux
Le soleil est leve
L\arroseur est passe
A Paris c'est Dimanche

Ceux qui veillaient s'endorment
Ceux qui dormaient s'etonnent
Quelque part rien ne change
Rien ne change
Rien ne change


QUE SERAIS-JE SANS TOI

Louis Aragon / Jean Ferrat

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’ un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J’ ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ ai vu désormais le monde à ta façon
J’ ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson
J’ ai tout appris de toi jusqu’ au sens du frisson

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’ un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J’ ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu’ il fait jour à midi, qu’ un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’ est pas un quinquet de taverne
Tu m’ as pris par la main, dans cet enfer moderne
Où l’ homme ne sait plus ce que c’ est qu’ être deux
Tu m’ as pris par la main comme un amant heureux

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’ un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N’ est-ce pas un sanglot que la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues
Terre, terre, voici ses rades inconnues

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’ un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement


La montagne

Ils quitt'nt unà un le pays pour s'en aller vivre leur vie
Loin de la terre où ils sont nés;
Depuis longtemps ils en révaient de la ville et de ses secrets
Du fomica et du ciné
Les vieux, ça n'était pas original
Quand ils s'essuyaient machinal, d'un revers de manche les lèvres.
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau et manger de la tomme de chèvre.
 
Pourtant, Que la montagne est belle !
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol hirondelles
Que l'automne vient d'arriver ?
 
Avec leurs mains dessus leur tet' ils avaient monté des murett's
Jusqu'au sommet de la colline.
Qu'importe les jours, les années ils avaient tous l'âme bien née,
Noueuse comme un pied de vigne.
Les vign's, elles courent dans la forêt. Le vin ne sera plus tiré.
C'était une horrible piquette, mais il faisait des centenaires
A ne plus savoir qu'en fair'; s'il ne vous tournait pas la tête.
 
Pourtant, Que la montagne est belle !
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol hirondelles
Que l'automne vient d'arriver ?
 
Deux chèvr's et puis quelques moutons,
Une année bonne et l'autre non, et sans vacances et sans sorties
Les jeunes veulent aller au bal : il n'y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie.
Leur vie, ils seront flics ou fonctionnair's, de quoi attendre sans s'en fair'
Que l'heure de la retraite sonne.
Il faut savoir ce que l'on aime,
Et, rentré dans son HLM, manger du poulet au hormonnes !
 
Pourtant, Que la montagne est belle !
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol hirondelles
Que l'automne vient d'arriver ?


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